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Poètes de la France

Zone de Texte: Qu’en avez-vous fait ?

Vous aviez mon cœur
Moi, j’avais la vôtre :
Un cœur pour un cœur,
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même, 
La feuille et la fleur,
L’encens, la couleur,

Qu’en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu’en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là
Dans ma vie amère, 
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu’un jour
L’homme est seul au monde ?
Savez-vous qu’un jour
Il revoit l’Amour ?

Vous appellerez,
Sans qu’on vous réponde
Vous appellerez,
Et vous songerez!…

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte,
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant,

Et l’on vous dira : 
« Personne !… elle est morte. »
On vous le dira,
Mais, qui vous plaindra ?

Marceline Desbordes-Valmore
Élégies, 1825.


Les roses de Saadi

J’ai voulu, ce matin, te rapporter des roses;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrées n’ont pu les contenir. 

Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir;

La vague en a paru rouge et comme enflammée : 
Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir. 

Marceline Desbordes-Valmore
Poésies, 1830.


Les séparés

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’étreindre.
Les beaux été sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre, 
Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
                             N’écris pas !

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes. 
Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi, si je t’aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
                               N’écris pas !

N’écris pas. Je te crains; j’ai peur de ma mémoire,
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent. 
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant. 
                               N’écris pas !

N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur :
Que je les vois brûler à travers mon sourire;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
                            N’écris pas !  

Marceline Desbordes-Valmore,
Poésies posthumes.        

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Desbordes-Valmore (1786-1859)