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Poètes de la France

Zone de Texte: Nevermore

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne 
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone 
Sur le bois jaunissant où la bise détonne. 
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, 
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. 
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant 
«Quel fut ton plus beau jour? » fit sa voix d'or vivant, 
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique. 
Un sourire discret lui donna la réplique, 
Et je baisai sa main blanche, dévotement. 
Ah! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées! 
Et qu'il bruit avec un murmure charmant 
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées! 

Paul Verlaine,
Poèmes saturniens, 1886.

Il pleure dans mon cœur

Il pleure dans mon coeur 
Comme il pleut sur la ville ; 
Quelle est cette langueur 
Qui pénètre mon coeur ? 

Ô bruit doux de la pluie 
Par terre et sur les toits ! 
Pour un coeur qui s'ennuie, 
Ô le chant de la pluie ! 

Il pleure sans raison 
Dans ce coeur qui s'écoeure. 
Quoi ! nulle trahison ?... 
Ce deuil est sans raison. 

C'est bien la pire peine 
De ne savoir pourquoi 
Sans amour et sans haine 
Mon coeur a tant de peine ! 

Paul Verlaine, « Ariettes oubliées »,
dans Romances sans paroles, 1874.

Le ciel est, par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme! 
Un arbre, par-dessus le toit 
Berce sa palme. 
La cloche dans le ciel qu'on voit 
Doucement tinte. 
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit 
Chante sa plainte. 
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, 
Simple et tranquille. 
Cette paisible rumeur-là 
Vient de la ville. 
- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà 
Pleurant sans cesse, 
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, 
De ta jeunesse ?

Paul Verlaine,
Sagesse, 1880.

Je suis venu, calme orphelin

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin.

À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
Ô vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !

Paul Verlaine
Sagesse - 1881


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Paul Verlaine (1844-1896)