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Poètes de la France

Zone de Texte: La Complainte de Rutebeuf

Que sont mes amis devenus; que j’avais de si près tenus...
Et tant aimés. Ils ont été trop clairsemés,
Je crois le vent les a ôtés. L’amour est morte.

Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte; les emporta.

Avec le temps qu’arbre défeuille
Quand il ne reste en branches feuille
Qui n’aille à terre... avec pauvreté qui m’atterre
Qui de partout me fait la guerre aux temps d’hiver.

Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte, en quelle manière.

Que sont mes amis devenus; que j’avais de si près tenus...
Et tant aimés. Ils ont été trop clairsemés,
Je crois le vent les a ôtés. L’amour est morte.

Le mal ne sait pas seul venir. tout ce qui m’était à venir...
M’est avenu.
Pauvres sens et pauvre mémoire;
M’a Dieu donné le Roi de gloire.
Et pauvre rente... et froid au cul quand bise vente.
Le vent me vient, le vent m’évente. L’amour est morte.

Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte; les emporta.

* extraits du Guigon d’hiver et de La Complainte de Rutebeuf, mis
   en musique par Léo Ferré.

Les règles des frères


Puisqu’il faut taire la vérité,
Inutile pour moi de parler.
J’ai dit la vérité en maints endroits:
Maintenant il est dangereux de parler
À ceux qui n’aiment pas la vérité
Et qui ont donné droit de cité
À des propos qu’ils ne doivent pas soutenir.
Ils nous bernent et trompent tout
Comme le goupil fait avec les oiseaux.
Savez-vous ce que fait le damoiseau?
Il se roule dans la terre rouge,
Fait le mort et la sourde oreille;
Alors les oiseaux viennent des nues,
Et il aime bien qu’ils viennent,
Car il les tue et les blesse:
De même, pour faire bref,
Ceux qui ont accaparé le paradis
Nous ont tués et blessés.
Ils le donnent et l’abandonnent
À ceux qui les abreuvent et enivrent
Et qui leur engraissent la panse
Des biens d’autrui, de la substance d’autrui,
Et qui peuvent être de parfaits hérétiques
En paroles et en actes
Ou des prêteurs méchants et cruels,
Dont les versets du psautier nous disent
Qu’ils sont déjà damnés et perdus.

© Éditions Gallimard 1986, 1998.

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Rutebeuf (v.1200– v.1285)